Notre association, reconnue pour son engagement constant en faveur d’un enseignement de l’histoire-géographie moderne et pertinent, a été reçue par le Conseil supérieur des programmes sous la houlette de Mark Sherringham, avec la notable participation de Jérôme Grondeux (IGÉSR). L’objectif de cette audience ? Présenter nos recommandations pour une refonte des programmes d’Enseignement moral et civique. Pour rappel, le CSP a été sollicité le 27 juin dernier par l’ancien ministre, Pap Ndiaye, dans l’optique de cette refonte, dont la mise en œuvre est prévue pour septembre 2024.
Le cadrage de la réforme
La lettre de mission détaillait plusieurs objectifs primordiaux :
- La transmission des valeurs et des principes républicains (devise républicaine, compréhension de la laïcité, citoyenneté, lutte contre inégalités et discriminations, ainsi que la connaissance des institutions françaises et européennes).
- L’éducation aux médias et à l’information (EMI).
- Une prise de conscience des défis liés à la transition écologique.
La lettre évoquait aussi le projet de doubler les heures consacrées à cet enseignement pour le cycle 4 du collège, soit une augmentation de trente minutes à une heure hebdomadaire.
Synthèse de nos propositions
L’état des lieux et les propositions des Clionautes ont été travaillés par Deborah Caquet, présidente de l’association, Geoffrey Maréchal, secrétaire national, Caroline Villordin, trésorière et William Brou, membre du Comité éditorial.
Commentaire des Clionautes sur le cadrage
Concernant le cadrage, nous regrettons la restriction du doublement horaire au seul cycle 4. La nécessité d’accentuer cet enseignement tout au long du cursus scolaire est criante. Bien que les programmes actuels mettent déjà l’accent sur la transmission des valeurs, nous sommes en accord avec l’ancien ministre quant à la nécessité de renforcer l’éducation aux médias. Néanmoins, en ce qui concerne la transition écologique, il est impératif de garantir une cohérence à travers tous les niveaux d’enseignement. S’il est louable de vouloir souligner cet enjeu au collège, il serait malavisé de le dissocier de sa base scientifique dans les programmes de géographie, notamment au lycée. Face à la montée des climato-sceptiques, il est essentiel d’ancrer cet enseignement civique dans une compréhension approfondie des conséquences du réchauffement climatique. Nous sommes persuadés que bon nombre de nos défis actuels découlent d’un relativisme ambiant qui met sur un pied d’égalité les faits scientifiquement avérés et les simples opinions.
Nos préconisations
1. Des programmes simples et clairs
Les programmes de collège actuels, bien qu’ayant l’intention louable de croiser quatre domaines d’apprentissage (la sensibilité, la règle et le droit, l’engagement, le jugement), présentent des défis concrets dans leur mise en œuvre. Structurés par cycles, ils s’avèrent en pratique difficiles à appliquer. Ces programmes nécessitent une coordination étroite au sein des équipes pour harmoniser les thèmes étudiés chaque année. Or une coordination n’est malheureusement pas toujours possible. Que ce soit en raison de dysfonctionnements au sein d’une équipe ou de l’instabilité des titulaires de postes dans les établissements, les conséquences sont souvent un repli sur des programmations antérieures ou un alignement strict sur les directives des manuels scolaires.
Le cas du lycée est encore plus préoccupant. Si chaque axe de travail propose une longue liste de domaines d’étude – tous pertinents, il est vrai – cela engendre inévitablement des angles morts. Certains sujets essentiels, comme la laïcité ou l’enseignement des questions de Défense, bien que fréquemment mentionnés, peuvent être aisément contournés. Il suffira de choisir deux autres domaines d’étude. Il est compréhensible que les programmes nationaux hésitent à imposer une méthodologie unique dans un lycée fragmenté par les spécialités. Toutefois, laisser une telle marge de manœuvre se traduit inévitablement par des disparités d’enseignement d’une classe à l’autre, voire d’un établissement à l’autre. Il est fondamental de s’assurer que chaque élève reçoive une éducation complète, couvrant tous les thèmes cruciaux pour bien saisir et intégrer les réalités de la société dans laquelle il évolue. À ce titre, nous avons proposé, pour les trois années du lycée, un programme détaillé plausible.
Face à ces enjeux, notre recommandation est claire : optons pour des programmes simples, définis et précis pour chaque niveau scolaire.
2. L’éducation morale et civique doit être l’affaire de tous les professeurs
En tant que professeurs d’histoire-géographie, nous sommes profondément conscients de la dimension civique intrinsèque à nos enseignements. Que l’on traite de la transformation urbaine en géographie ou du totalitarisme en histoire, nos cours s’inscrivent indubitablement dans une perspective citoyenne. Au collège, nous plébiscitons une approche déjà explorée par certains manuels (LeLivreScolaire par exemple), et par plusieurs membres de notre association : intégrer l’EMC à la conclusion de chaque chapitre d’histoire-géographie.
Nous avons d’ailleurs présenté une proposition détaillée pour les classes de Sixième et de Troisième au Conseil supérieur des programmes. Cette méthode ancre solidement la pensée civique dans un cadre historique et géographique.
Cependant, cette importante mission ne devrait pas reposer uniquement sur les épaules des enseignants d’histoire-géographie. Nous contestons l’idée, parfois propagée par nos collègues d’autres disciplines, que nous serions les seuls « qualifiés » pour traiter ces thématiques. Tous les processus de recrutement des enseignants abordent les valeurs républicaines, quelle que soit la discipline. Le professeur d’histoire-géographie ne devrait pas être considéré comme le référent unique sur ces sujets sensibles.
C’est pourquoi nous prônons une intégration transdisciplinaire de l’éducation à la citoyenneté. Chaque discipline a son rôle à jouer. Par exemple, que ce soit en éclaircissant la démarche scientifique ou en discutant de la formation des opinions, toutes sont en mesure de combattre les théories conspirationnistes. Pour les disciplines littéraires et artistiques, l’exploration de la sensibilité et l’utilisation de divers moyens d’expression sont des vecteurs essentiels de l’apprentissage de la liberté d’expression. Il est à noter que les programmes du lycée professionnel suggèrent déjà de telles interconnexions disciplinaires.
L’EMC ne doit pas être l’apanage d’une discipline ; elle doit être une préoccupation collective. Nous aspirons à une mobilisation générale autour du parcours citoyen.
3. Une évaluation remaniée
L’actuelle évaluation de l’EMC pose question. Au Brevet, le barème se limite à une simple épreuve de compréhension de documents représentant 10 points. Dans la pratique, l’ultime question, bien qu’étant la plus intéressante pour l’évaluation, est souvent négligée ou mal traitée par l’élève. Le résultat ? Une note peut-être flatteuse, mais qui ne valide pas réellement des connaissances ou compétences morales et civiques.
Notre proposition d’ajouter des séquences d’EMC à la conclusion de chaque module d’histoire-géographie rend l’épreuve écrite du Brevet moins pertinente. Nous suggérons de réorienter l’évaluation vers l’épreuve orale du Brevet, déjà transdisciplinaire, ce qui serait idéal pour un enseignement intégré de l’EMC à travers toutes les matières.
Le lycée présente un cas distinct : l’EMC est autonome de l’HG et peut être dispensé par des professeurs de diverses spécialités. Ici, les marges d’ajustement sont plus limitées. Les trois évaluations annuelles demandent un investissement conséquent de la part des enseignants, qui ne bénéficient souvent pas des 18 heures annuelles allouées par les programmes. Cette exigence est accentuée du fait que l’EMC est généralement enseigné en classe entière, sauf dispositions locales spécifiques. À défaut d’une refonte totale, une augmentation du coefficient de l’EMC au Baccalauréat s’impose. Actuellement fixé à 2, le porter à 4 n’altérerait pas fondamentalement l’équilibre général, mais donnerait plus de poids à l’évaluation de l’enseignant.
4. Des moyens plus marqués sur les questions vives
1. La formation : L’EMC souffre actuellement d’un déficit de formation. Les formations existantes sont souvent ponctuelles, centrées sur des sujets spécifiques comme la laïcité. Leur déploiement est inégal d’une académie à l’autre. Les enseignants d’histoire-géographie doivent souvent s’appuyer sur l’autoformation car leur formation initiale universitaire n’abordait généralement pas l’éducation civique. Cette lacune devient préoccupante, surtout lorsque l’on pense à la diversité des sujets que l’EMC doit traiter, comme l’éducation aux médias, qui présente ses propres défis. Notre plaidoyer pour une approche transdisciplinaire en EMC pourrait conduire à des formations plus complètes et mieux financées pour répondre aux besoins actuels.
2. La cointervention sur des sujets sensibles : Pour traiter efficacement des sujets délicats, la cointervention devrait être encouragée et facilitée. Nous recommandons l’allocation d’heures supplémentaires spécifiquement dédiées à cette démarche collaborative. Si une classe rencontre des problèmes tels que le harcèlement, une utilisation inappropriée des réseaux sociaux ou une remise en question du cadre républicain, la possibilité de cointervenir avec des professionnels d’autres domaines (autre enseignant, infirmière scolaire, C.P.E., réserve citoyenne, etc.) pourrait être bénéfique. Cette approche ne laisserait pas l’enseignant isolé et offrirait aux élèves une perspective équilibrée et nuancée, combinant plusieurs expertises.
L’association des Clionautes est convaincue que ces propositions, si elles sont mises en œuvre, contribueront à former des citoyens éclairés, critiques et engagés. La refonte des programmes d’Enseignement moral et civique est une étape cruciale pour construire l’avenir de notre nation et honorer comme il se doit nos deux collègues assassinés. En leur nom, nous sommes déterminés à ce que notre vision soit prise en compte.