Le terme « transition » fait partie du vocabulaire des géographes mais il semble être devenu un mot « fourre-tout », dont on peut discuter la pertinence pour désigner des changements, bouleversements ou processus divers, comme le développement durable ou les changements globaux. Comment les chercheurs et enseignants utilisent-ils ce mot dans leurs analyses géographiques ?

Comment enseigner les transitions pour tordre le cou au catastrophisme, sans masquer la réalité des crises écologiques ?

Intervenants : 

  • Christophe ESCARTIN remplace Nicolas ESCACH, spécialiste des Réseaux de villes et des recompositions interterritoriales dans l’espace baltique et maître de conférence à Sciences Po, qui travaille sur l’éco-anxiété mais qui n’a pas pu venir. C. Escartin quant à lui est inspecteur de la voie professionnelle en histoire géographie, et travaille sur les questions de développement durable, il porte le dossier de l’éducation au développement durable dans  l’académie de Toulouse. Et il travaille aussi au niveau national sur la production de ressources durables. Il a donc une sensibilité proche des élèves.                                                                                                                                                                                    
  • Alexis GONIN travaille en politique et géopolitique. Il est maître de conférences à l’université de Paris Nanterre. Enseignant chercheur, il travaille sur la transition territoriale des systèmes agro-alimentaires sur des terrains en France. Il coordonne aussi un projet de recherche sur ce thème qui s’intitule Les champs de Gaïa, projet interdisciplinaire avec des philosophes, des agronomes et des géographes et il dirige une formation universitaire qui vise à former des facilitateurs de transition territoriale. Il a contribué à la revue Historien & Géographe avec 2 articles : “Enseigner les transitions” et “Appréhender la complexité du monde par les transitions territoriales” et enfin, il a publié récemment avec Christophe Queva un ouvrage s’intitulant Géographie des espaces ruraux chez Armand Colin.    
  • Yvette VEYRET MEKDJIAN est une universitaire, professeur de géographie, chercheur, et travaille sur les questions de paléo environnement, d’environnement, de risques et de développement durable. Elle a publié les Atlas du développement durable aux Editions Autrement. Elle est très attachée à l’enseignement de la géographie, que ce soit dans l’enseignement supérieur ou dans le secondaire, et elle a beaucoup contribué par son expertise à des avancées significatives dans les programmes en étant membre du Conseil national des programmes dans les années 1990. Elle a publié cette année un ouvrage chez Ellipses qui est consacré aux Environnements et qui correspond à la question des concours, mais aussi à nos programmes d’Histoire Géo. 
  • Pascal BAUD est enseignant en classe préparatoire aux grandes écoles au lycée Champollion à Grenoble et il a eu un parcours d’enseignant du secondaire et également à l’université. Auteur du Dictionnaire de géographie, aimé des étudiants et des professeurs. La preuve depuis 1992, sa première édition, on est à la 6e réédition. Il est aussi l’auteur de l’article environnement et agriculture. 

La table ronde est animée par Pascal BAUD, enseignant en classes préparatoires et géographe ainsi que Catherine BIAGGI et Laurent CARROUÉ, Inspecteurs Généraux de l’Éducation, du Sport et de la Recherche.

 

La transition est-elle un nouveau mot valise face aux bouleversements dont on peut mettre en doute la pertinence, notamment par rapport aux différentes temporalités et aux urgences ?

Alexis Golin : voilà encore un nouveau mot valise qui arrive dans les programmes de lycée en 2019 et qui se superpose sans vraiment le remplacer à celui de développement durable. On le retrouve dans les grands discours politiques des institutions internationales et nationales mais aussi dans les discours d’ONG, d’associations et dans les discours scientifiques, avec à chaque fois un positionnement différent selon celui qui l’emploie… 

Certains ont dit du développement durable que c’était un concept sédatif, qui floute. Mais plus embêtant encore peut être, c’est que pour le mot de « transition », c’est qu’il porte des enjeux politiques, des stratégies, qui sont très différentes, voire opposées.

Par exemple, un développement durable peut être fort ou faible. Mais le mot de « transition » est polysémique. Il peut être d’une part porteur de modernisation écologique en remettant en cause les systèmes existants. C’est le cas dans les systèmes agroalimentaires pour les problèmes d’irrigation du maïs, où l’on va faire une transition qui consistera à baisser les doses d’engrais/pesticides avec de l’agriculture de précision, par des robots qui vont arracher les herbes, et une amélioration des variétés et des espèces animales pour obtenir des rendus plus performants.

Dans la modernisation écologique on apporte une solution continuelle, systémique, radicale, car on a posé des questions sur la nature du système. On se pose la question des modes alimentaires à changer, d’une alimentation carnée qui aurait moins besoin de maïs et qu’on aurait moins besoin d’irriguer. 

Ainsi en utilisant le mot de “transition”, on peut entendre aussi bien une modernisation écologique ou un capitalisme vert ou un développement durable, un verdissement d’un côté, de l’autre une bifurcation, une transformation, dans le but d’orienter nos élèves, les citoyens, dans les débats politiques actuels… c’est problématique. 

Mais selon moi, ce mot valise de « transition » ajoute un petit quelque chose par rapport à celui de « développement durable » qui n’allait que dans une seule voie : celle du développement. C’était en 1947, lors du discours de Truman, dans une volonté de progrès qui voulait un développement humain, local, territorial puis durable comme voie unique. Or le mot de “transition” ouvre un petit peu ce spectre. 

 

Yvette Veyret : Quand j’ai vu arriver la notion de transition dans les programmes, j’étais assez effarée, parce que c’est un processus dynamique entre un état et un autre, d’un changement… Mais de quelle échelle à quelle échelle ? et de quel type de changement parle-t-on? Vers un état nouveau ? Comme s’il y avait un modèle de transition à enseigner aux élèves, à atteindre…. Donc c’est une thématique nouvelle qui me paraît extrêmement difficile à cerner. Qu’est-ce qui est derrière cette notion, qui l’a proposée, qui l’a diffusée ? Alors il y a évidemment l’ouvrage de Rob Hopkins sur Les villes en transition. Mais alors si on passe des villes en transition à la transition, là on change complètement d’échelle ! Car R. Hopkins parle de petites villes au départ, qu’il faut verdir, qu’il faut aménager en termes écologiques ! 

Alors pourquoi remplacer “développement durable” par ce nouveau terme ? La durabilité, et j’ai beaucoup travaillé là-dessus pour le dire, est quelque chose de complexe parce qu’il y a la durabilité forte, faible, la décroissance dans différentes approches… Mais au moins on peut clairement montrer aux élèves ses 3 aspects ! Qu’est ce que serait la durabilité forte ? Qu’est-ce et la durabilité faible ? Qu’est-ce que la décroissance ? 

La transition est une autre approche qui apparaît en 2015, notamment à l’Académie des Sciences dans le contexte de changements globaux ou de changement global. C’est flou, on fait de l’idéologie déclarée, comme le fait la politique avec l’écologie qui voudrait casser le système capitaliste, avec un injonction à s’adapter. Donc en 2015, l’Académie des Sciences a créé Le Comité des changements globaux. Assez inefficace sur 8 ans, puisqu’il n’a publié qu’1 rapport sur le climat et une transition depuis! Si j’ai bien compris, c’est une façon de réduire les inégalités en même temps que l’on pratique la transition. Vous avez compris que je ne sais pas comment ! Limiter les inégalités sociales, c’est un des thèmes absolument fondamental qui traverse le développement durable.

Est-ce qu’on peut faire du développement durable dans un monde aussi inégalitaire qu’aujourd’hui d’ailleurs ? On se situe aussi dans l’utopie. Quand on regarde les ODD (Objectifs de développement durable) de l’ONU, on peut faire de la bonne géographie sur la question de l’eau, de l’énergie, etc. On n’a pas besoin de « transition », même si j’ai cherché à comprendre ce terme :  

Selon, l’ADEME, on aurait 4 modèles/scénarios de “transition”. Sachant qu’ils s’inscrivent sur les mêmes données, économiques avec l’idée d’une augmentation des températures de 2° d’ici 2100 :

  • 1er scénario : la transition effectuée par la contrainte et la frugalité. 

On diminue les usages de la viande, la consommation de viande, on diminue la surface des maisons, l’utilisation des ressources…

  • 2ème scénario : la transition fondée sur une gouvernance partagée. 

Elle porte plus sur la ville, les petites villes en transition. 

  • 3ème scénario : la transition fondée sur les technologies vertes
  • 4ème scénario : la transition fondée sur la réparation des systèmes sociaux et écologiques. 

Tout ça est d’une grande complexité… C’est vraiment introduire dans les programmes sans explication véritable la transition.

 

Christophe Escartin : Un nouveau terme à gérer en plus avec les élèves, en plus de cette question d’urgence ! Les élèves sont affectés par ces phénomènes, inquiets. On doit leur apporter quelque chose d’opérationnel pour comprendre le monde dans lequel ils évoluent. Nous, on essaie entre les 2 termes de DD et de transition de leur montrer que tout ça s’inscrit dans un contexte de sentiment d’urgence qui est souvent lié au changement climatique, de l’extrême isolation, du climat, de phénomènes d’accélération, de l’irréversibilité. Ce qui inquiète beaucoup, c’est ça : rentrer dans un monde en transition dans lequel il y aurait quelque chose d’irréversible. La transition environnementale ou la transition écologique est une modification de tout un tas de systèmes qui permettent de faire face à ces crises et de répondre à ce sentiment d’urgence par des mesures d’urgence. 

On parle donc de transitions contextuelles avec les élèves. Parmi ces transitions, certaines sont plutôt de l’ordre des facteurs de ce changement (changement climatique, déforestation, changement d’usage des sols, la transition nutritionnelle où on mange plus de viande à mesure qu’on se développe). On essaie également de leur montrer qu’il y a des transitions qui sont plutôt de l’ordre du remède. Par exemple la transition énergétique. Elle est décidée donc ce n’est pas la même chose que la transition démographique. C’est quelque chose qui est plus de l’ordre des politiques, comme les transitions alimentaires récentes. On passe d’un monde moteur dans la préservation, dans la mise en place de politiques de préservation du climat, relativement en paix, en créant l’UE etc. à un monde aux climats plus difficiles aujourd’hui, avec des pays agresseurs, impérialistes, etc. Ça change l’ordre des priorités et de la gouvernance mondiale qui était relativement entre les mains d’un groupe élu du pays impliqués dans les questions de préservation des équilibres.

 

Catherine Biaggi : Il y a 2 limites à la transition : la question des échelles qui a déjà été évoquée, et la question de l’objectif.

Vers quoi nous “transitons” si nous devons transiter ?

Alexis Gonin : (a écrit un article sur Géoconfluences où il évoque la transition territoriale et pourra bien y répondre, car on peut créer du collectif dans cette notion aussi)

Il y a plus de 36 000 exemples de transitions territoriales agro-alimentaires en France. Pour 80%, elles vont se situer dans la Drôme ou dans l’Ardèche, avec des circuits courts, etc. Il y a toute une gouvernance avec les communautés de communes qui vont changer les systèmes, pas seulement agricoles mais aussi alimentaires et écologiques avec la rivière de la Drôme. Le problème, c’est que des transitions systémiques achevées, il n’y en a pas 50 000 en France et elles ne sont pas parfaites non plus !

Les politiques se sont emparés de la question des « transitions » lorsque notamment le « Ministère de l’environnement et du développement durable » a été débaptisé pour s’appeler « Ministère de la transition écologique ». La transition a alors acquis un sens plus plat, en lien avec l’écologie politique, où on part du système actuel pour aller vers un système B qui n’est pas encore là. On peut le voir avec les discours sur les transitions dans l’agriculture, avec un peu moins d’engrais, ça reste productiviste et ce n’est pas un changement systémique vers la permaculture.

1ère critique de la transition : on pourrait dire qu’elle connote une volonté de changement et ça sous-entend qu’elle est pilotée d’en haut, avec un programme de planification écologique de transition, toute une ingénierie, toute une gouvernance. Tout le monde va se mettre en rang pour faire la transition et transformer nos systèmes ! Or, je crois qu’on oublie un acteur important qui est le « système terre » que certains appellent « Gaïa », qu’on ne ne peut pas toujours piloter ! Exemple : les inondations en Libye, en Grèce, nous échappent ! L’humain ne peut pas tout piloter en ‘homme moderne’ et la terre nous réserve bien des surprises et agit avec brutalité. Et ce terme de transition ne prend pas en compte cette urgence écologique globale qui implique le local !

2ème critique de la transition : elle ne répond pas au régime de ruptures dans lequel nous vivons, du point de bascule qu’on franchit ou pas, on ne sait pas quand il a lieu avec la « transition ». En fait, on peut les avoir franchis sans s’en rendre compte. Nos politiques humaines échappent encore une fois à ce contrôle d’urgence.

3ème critique, le terme de transition paraît très consensuel. C’est aussi le propre d’un moralisme, un terme parapluie qui regroupe sous les mêmes termes plein d’options différentes. Or l’urgence qu’elle contient est conflictuelle. Exemple : les combats autour des grands bassins de rétention, des usages de son monopole, de sa violence légitime face à des populations précaires qui y sont confrontées. Et ça ce n’est pas assez dénoté par le terme de transition quand on l’utilise dans un registre critique. 

Comment aborder la transition dans les programmes scolaires avec les élèves ?

Catherine Biaggi : Nous avons des programmes de géographie qui sont conceptuels, avec le concept de développement durable dans le programme de collège et ensuite dans les programmes du lycée 2020 avec la transition comme concept transversal du programme de 2nde, la recomposition dans le programme de 1ère et la mondialisation dans le programme de terminale et en dans la voie professionnelle. Après ça, nous avons les changements globaux et moraux qui sont introduits dont les programmes de collège en 5e, avec une meilleure prise en compte des enjeux écologiques. Et on introduit avec force les ODD c’est-à-dire les 17 objectifs du développement durable à l’objectif de 2030 qui ont succédé aux objectifs du Millénaire et dans lesquels on n’a pas que du développement, mais aussi des sujets sur l’eau, qu’on peut mettre en rapport avec la question des inégalités. 

Dans les programmes de lycée, la transition est définie comme synonyme de changement, de bouleversement des clés d’analyse, de grands défis qui prolongent le développement durable et l’enrichit. 

Il faut un peu essayer de dédramatiser et de se dire que derrière les concepts qui nous arrivent, il y a des politiques et des projets d’éducatifs logiques…

 

Christophe Escartin : Dans la voie professionnelle comment aborde-t-on les changements globaux ?

La question des changements globaux chapeaute l’ensemble du programme de Terminale de géographie autour de 2 grandes focales : une sur la question des sociétés face au risque, l’autre sur la question des ressources et qui, à travers cela, interroge le développement et l’articule avec le système Terre. C’est donc étudié dans la partie Terminale du lycéen, bientôt citoyen à part entière, avec son développement individuel en tant que futur professionnel, acteur entier de ces questions de changement qu’il va impacter par son aspect économique.

 

Catherine Biaggi : La finalité de nos programmes d’histoire géographie, structurants depuis le primaire, c’est de fabriquer des citoyens qui comprennent le monde dans lequel ils vivent, pour y agir. C’est peut-être pour cela qu’il y a une articulation entre l’urgence et la capacité d’action de nos élèves.

 

Quels exemples de démarches pédagogiques pour mettre place la transition avec nos élèves ?

Pascal Baud : quand on aborde le sujet avec nos élèves, nos étudiants, ils posent beaucoup de questions à la fois sur les urgences et sur les transitions. Par exemple, ils nous demandent si nous sommes tous égaux face aux urgences, si les urgences des uns sont celles des autres. Parfois d’autres transitions s’imposent à nous avec les guerres européenne comme la transition énergétique dans le contexte d’urgence actuel. Les programmes doivent aussi s’adapter à cette médiatisation extrême des questions climatiques et de changement global qui alimente un marché et auxquelles on répond par des boucles de rétroaction. Cela pose des questions sur l’écologie radicale, et caetera.

 

Christophe Escartin : Les élèves sont très sensibles à ces sujets On on leur permet d’éclairer leur compréhension, leur connaissance de ces enjeux pour pouvoir envisager une projection et de la prospective. En ce sens-là, la question de la distinction entre crise et urgence me paraît importante. Parce que quand on aborde une crise souvent et d’un point de vue pédagogique, on pose un problème et on va chercher une solution.

 

Alexis Gonin : La question des urgences nous fait entrer dans un champ plus systémique. Si la transition est omniprésente, c’est bien qu’il y a un problème au niveau sociétal. La problématique est systémique. Un système, c’est quelque chose de stable. Pour étudier ce qui est fonctionnel, c’est unique, alors qu’un système évolue rarement. Et si on veut le faire changer, ce n’est pas facile. Prenons l’exemple d’un système productif : « l’ensemble des acteurs et des facteurs qui concourent à la production, à la transformation et la distribution des biens et services », et plus spécifiquement des systèmes productifs agro-alimentaires qui distribuent des denrées végétales et animales grâce à un ensemble d’acteurs qui permettent à la très grande majorité des Européens de se nourrir : Les consommateurs fonctionnent principalement en achetant des aliments dans les grandes et moyennes surfaces qui étaient déjà tout un sous-ensemble de multiples acteurs très puissants qui achètent aux industries agroalimentaires, coopératives, négociant, et aux agriculteurs en bout de chaîne. Dans un système agroalimentaire titanesque, même les coccinelles et les pucerons participent ! Et même si vous le prenez à une grande échelle géographique, comme celui de la Moselle, si tant est qu’il existe, il est inclus dans le système européen, c’est encore plein d’acteurs !

Comment étudie-t-on donc le changement en géographie ?

Avec des recompositions spatiales ! Car un changement systémique entraîne normalement des recompositions spatiales. Si on prend une très grande échelle cette fois-ci, sur le plateau du Vexin français, qui est passé au biologique avec 300 hectares d’un seul tenant alors que c’était un grand espace agricole classique en open feeld très riche à la base. Ce territoire s’est donc recomposé avec 300 hectares autour d’une ferme avec des vaches bizarres, aux poils et grandes cornes, des arbres dans les champs, des bois, de l’agroforesterie. On a eu un changement systémique avec un mode de production conventionnel qui passe au bio. Ils ont changé les marchés, les chaînes de commercialisation, les modes de culture et les consommateurs. et cela a eu un impact sur le territoire avec des parcelles plus petites.

On peut parler de transitions démographiques, ça c’est du classique en géographie, mais comment aborde-t-on les transitions urbaines ?

Une transition urbaine s’opère en Afrique de l’Ouest depuis les années 1960. On voit les villes littorales qui prennent du poids, les territoires qui se réorganisent, les pays côtiers, la Côte d’Ivoire, qui prennent beaucoup plus de poids démographique, politique, économique et forme un corridor.

Ainsi le terme de transition doit se mêler à celui de DD, sauf si on considère que parler du développement durable, c’est trop parler de développement, donc d’économie. 

 

Pascal Baud : Sur le cas de l’Inde, un des pays qui est le plus confronté aux enjeux du changement global avec sa population très importante, il a paradoxalement essayé de maîtriser sa production agricole et sa distribution alimentaire et a mis en place des systèmes tout à fait novateur en termes de développement et d’agroécologie. Cf. Frédéric Landy, qui a beaucoup écrit là-dessus. Cela se manifeste par des objectifs politiques, des effets territoriaux et aussi des limites de ces systèmes type « Révolution verte » avec de l’irrigation pour produire plus, etc. 

 

Christiane Biaggi : Cette notion de transition est un peu éloignée dans les pays du Sud parce que beaucoup ont à nourrir leur population, ont des problèmes d’eau absolument fondamentaux. Dans ces cas-là, la marche très lente vers un développement durable paraît largement suffisante.

On retrouve des élèves entre indifférence, rejet et radicalisation et forme d’engagement, on est parfois débordé. Et en même temps, on conduit un projet éducatif global. Comme disait Camus : « Nommer le mal, nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde« . Mais ce qu’on essaie de faire ce matin, c’est bien de les nommer pour savoir où l’on va !

 

Christophe Escartin, dans l’académie de Toulouse, je suis responsable des projets en lien avec le développement durable. Quel est justement le sentiments des élèves ? Qu’est ce qui transparaît ? On est clairement dans un registre d’émotion, la tendance à résumer, à simplifier immédiatement, ou dans des intentions de susciter l’action, et on peut catégoriser d’éco anxiété nos enseignements.

Or quand on regarde rétrospectivement, le Ministère de la santé produit chaque année un état de la santé mentale des jeunes. Et lorsqu’on remonte jusqu’aux années 1980, dans chacun de ces rapports, pour les adolescents, c’est les problèmes types d’anxiété qui sont toujours caractérisés, de plus en plus proche de l’élève. J’ai vu des rapports qui étaient sur l’anxiété autour du sida, de la crise économique, autour du chômage, des conflits, et ceatera, qui sont constants. Cette anxiété touche davantage les jeunes filles, que les garçons, les urbains que les ruraux, davantage les CSP surfavorisées que défavorisées. Il ne s’agit donc pas de cacher les réalités à nos élèves, mais aussi que nous traduisions des perspectives, de la prospective et que nous permettions aux élèves de construire des scénarios de futurs possibles et de futurs souhaitables.

Pour cela, voilà un exemple d’un projet très récent dans une petite ville de Piémont des Pyrénées, dans lequel le professeur d’histoire géographie a eu une place centrale : un projet de réaménagement de la cour du collège. Après une politique de la désertification, ils ont œuvré pour une revégétalisation qui a mobilisée les élèves dans l’appréhension de leur espace, de leur territoire de vie, à une échelle réduite, mais avec les circulations et en parallèle des objectifs de développement durable sur la question des inégalités de genre. Comment l’espace du Collège peut aussi avoir des effets sur le bien-être ou le mal-être ? Cela a poussé les élèves à dépasser leur anxiété derrière les écrans, en lien avec des travaux de pédopsychiatres et psychiatres.

Alors même si la littérature scientifique médicale est encore assez réduite, ce qui transparait (Cf. l’article de Lealia Benoît à l’INSERM), c’est l’inquiétude de perdre un monde qu’on a connu, ce sentiment que nous pouvons sans doute partager d’avoir connu des glaciers qui étaient pérennes et qui ne sont plus. Nos élèves sont conscients de ces faits.

Expression de Michel Hamel : « L’enseignement de la géographie ne doit pas être vecteur de désespérance mais vraiment tracer des lignes pour permettre de redonner des armes, de l’espoir face à des peurs ». Kevin Limonier est un professeur qui travaille sur cette atténuation de la peur et l’adaptation, en raisonnant et traçant des chemins. Cette éco anxiété est très liée aux médias, aux réseaux sociaux, avec des discours tous les jours qui reviennent sur le changement climatique. Alors bien entendu, on est pris entre 2 feux, entre la nécessité d’expliquer que ce qui se passe est possible, et la nécessité aussi de de ne pas trop en faire quand même, parce que c’est la zone de conductivité. Il faut décrypter, insister sur ces discours qui tous les jours font peur, inquiètent, et caetera. Mais c’est certain que l’adaptation par des réglementations, par la résilience personnelle aussi, et le fait de connaître le danger sont essentiels.

J’habite en Provence et quand il fait très chaud, 42° cet été, on ferme les volets et il faut expliquer ça aujourd’hui aux Nords, c’est à tout tout à fait bête, il faut expliquer ça aux gens qui viennent de Scandinavie ou d’Allemagne chez nous parce qu’ils laissent tout ouvert pour avoir le soleil. Et puis ils ont 42° dans leur maison. Donc c’est des petites choses, mais l’adaptation est possible à des échelles plus importantes

 

Alexis Gonin : il a des convergences possibles entre EMC et Géographie, vers une citoyenneté qui est celle du pouvoir d’agir et pas seulement par des écogestes (faire éteindre la lumière et trier ses déchets…) Mais déjà, ce que vous décrivez dans les établissements, c’est du collectif qui se met en place. Réfléchir sur la cour du collège, c’est déjà un projet politique. Une formation qui s’appelle Sami Academy en lien avec le réseau Figure « Transition Territoire Participation » est possible d’accès sur Internet pour les établissements. Son idée est de doter et donner les moyens aux organisations de mettre en place un projet de territoire, d’aider au montage et à sa finance pour commencer les démarches. Cette analyse permet des synergies entre les métiers et est un facilitateur territorial.