Le verdict dans le procès de l’assassinat de Samuel Paty est tombé :
- 16 ans de prison pour Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov, les deux soutiens logistiques d’Abdoullakh Anzorov, pour complicité d’assassinat terroriste
- 13 ans de prison pour Brahim Chnina, le parent d’élève qui avait monté une campagne de diffamation sur les réseaux sociaux, pour association de malfaiteurs terroriste,
- 15 ans de prison pour Abdelhakim Sefrioui, l’agitateur terroriste qui avait encouragé le précédent et s’était greffé à la campagne de haine, pour association de malfaiteurs terroriste,
- 3 ans avec sursis pour Priscilla Mangel, condamnée pour provocation au terrorisme,
- 1 an ferme pour Yusuf Cinar (apologie du terrorisme),
- 5 ans de prison, dont 30 mois avec sursis pour Ismaël Gamaev (association de malfaiteurs terroriste),
- 3 ans de prison, dont deux ans avec sursis pour Louqmane Ingar (association de malfaiteurs terroriste).
Semaine après semaine, nous avons suivi les audiences et c’est avec soulagement que nous apprenons les conclusions de la cour d’assises spéciale de Paris. Pour nous, ces peines sont de nature à clarifier ce que recouvre le terrorisme aujourd’hui, à apporter satisfaction aux parties civiles, et à répondre, au moins partiellement, à l’immense attente créée par le procès au sein de notre profession attaquée.
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Des peines mesurées
Mesurées, ces peines le sont par rapport à l’échelle encourue, « jusqu’à trente ans de réclusion » n’a-t-on cessé d’entendre. Elles rééquilibrent des réquisitions du parquet antiterroriste (PAT), jugées trop basses par les avocats des parties civiles en début de semaine.
Le PAT avait même pris l’initiative de réviser l’incrimination pénale : Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov, les deux soutiens logistiques du crime n’étaient plus poursuivis pour « complicité d’assassinat terroriste » mais pour « association de malfaiteurs terroriste », un qualificatif pour lequel les « certitudes » permettaient de l’emporter sur les « hypothèses ». C’est heureux que la Cour n’ait pas suivi le PAT sur ce plan et que Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov soient bien condamnés pour complicité. Nous aurons l’occasion de l’expliquer plus bas.
Quand un verdict n’utilise que la moitié de la sanction pénale prévue et au regard de ce qui a été dit pendant ces longues semaines de procès, on est bien dans une peine mesurée. Il sera très difficile de plaider la disproportion dans un procès d’appel, déjà annoncé par Abdelhakim Sefrioui.
Des peines plus sévères qu’attendues
Ces peines interrompent un cycle de mansuétude observé dans d’autres affaires.
Le procès des mineurs l’année dernière s’était terminé par des peines en demi-teinte. La fille de Brahim Chnina, celle par qui tout avait commencé, avec ses mensonges éhontés, n’avait obtenu que 18 mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse. Le maximum prévu par la loi était de deux ans et demi de prison. Quant au groupe d’élèves qui avait aidé Abdoullakh Anzorov à identifier, puis trouver Samuel Paty, les condamnations sont allées de quatorze mois à dix-huit mois avec sursis, la peine la plus grave prévoyant six mois ferme sous bracelet électronique. On était loin de la peine maximale de cinq ans d’emprisonnement.
Dans une autre affaire survenue en février 2023, celle de Philippe Le Guillou proviseur du lycée Maurice Ravel qui a subi des menaces de mort en ligne, un homme de 27 ans a été condamné à une peine de 60 jours-amende de 10 euros chacun, à un stage de citoyenneté de cinq jours, et à verser 3 000 euros de dommages et intérêts à verser à la victime. Un autre homme a été relaxé à Lisieux et un troisième condamné à 10 mois de prison avec sursis à Bourg-en-Bresse. Précisons qu’entre-temps, Philippe Le Guillou a dû partir en retraite précipitamment, que toute sa vie a été bouleversée du jour au lendemain et qu’il a aujourd’hui peur de montrer son visage de crainte d’être reconnu…
Dans le procès qui s’achève, la cour a donné une réponse rassurante à plusieurs questions-clés.
La complicité d’assassinat terroriste existe sans radicalisation ni connaissance entière du projet
C’est peu ou prou la première difficulté qu’a rencontrée la cour d’assises avec Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, soutiens matériels de l’attentat.
Les deux connaissaient Abdoullakh Anzorov, son islamisme radical exprimé dans chaque aspect de son quotidien et qu’il revendiquait clairement en toute occasion et devant tous. Pourtant ni Epsirkhanov ni Boudaoud n’étaient adeptes de l’islam radical, chose que la SDAT (Sous-direction antiterroriste) a confirmé au gré des audiences. S’ils ne partageaient pas le rigorisme d’Anzorov, ils n’avaient a priori aucune intention terroriste eux-mêmes, argument martelé régulièrement par la défense.
La défense et les dépositions des deux amis ont insisté sur leur ignorance du projet terroriste. Anzorov achète un couteau ? C’est « pour son grand-père ». Il prépare un mauvais coup ? C’est pour se « défendre dans une embrouille ». Il ne s’explique pas de ses intentions notamment pendant les longs allers-retours Evreux-Rouen (deux heures de route en tout à chaque fois on le rappelle) ? Il n’est pas bavard et « regarde son téléphone ». Les deux ont d’ailleurs expliqué avoir découvert qui était Samuel Paty, après son assassinat.
Sans doute que leurs messageries respectives auraient pu éclairer définitivement les contours de cette étrange amitié silencieuse mais il se trouve que les deux accusés, qui ont spontanément choisi de se présenter à la police après l’assassinat, ont tout aussi spontanément effacé le contenu de leurs téléphones. Quatre ans plus tard, la SDAT n’a semble-t-il pas pu récupérer grand chose.
La cour, c’est heureux, ne s’est pas arrêtée à ces déclarations et n’a pas non plus accepté la perche tendue par le PAT qui proposait de requalifier le tout en « association de malfaiteurs terroriste ». Avec courage, la Cour a maintenu la qualification de « complicité » en arguant notamment que, quand bien même les deux accusés n’auraient pas eu connaissance du cas de Samuel Paty, ils savaient qu’Anzorov préparait quelque chose et ils l’ont aidé de façon continue. Qu’ils aient été eux-mêmes adeptes de l’idéologie du meurtrier n’y change rien.
Lancer une campagne de haine en ligne ne peut être dissocié de ses conséquences terroristes
C’était le défi posé par le cas de Brahim Chnina, le père de la collégienne calomnieuse, et d’Abdelhakim Sefrioui, le « militant » islamiste de 65 ans, poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste. Le premier a joué la carte du bon père de famille trompé par sa fille, dépassé par les événements et qui ne voulait pas de mal à Samuel Paty. Le second, celui du combat politique incompris contre l’islamophobie d’Etat et injustement réprimé.
Le procès a eu tôt fait de lever le voile et de bien démontrer le caractère odieux des deux personnages.
D’un côté, un père abusif, vindicatif, certes sous la coupe de Sefrioui lors de son entretien avec la principale, mais menaçant à l’égard du « voyou » Samuel Paty et qui, spontanément et sans frein, a distillé la haine sur les réseaux sociaux jusqu’au bout. Il avait déjà été condamnés deux fois pour outrage et menace de mort contre un chargé de mission de service public.
De l’autre, un militant islamiste rompu à l’intimidation et à l’agitation depuis des années, qui s’est imposé dans la cabale de Brahim Chnina contre Samuel Paty, allant jusqu’à monter toute une vidéo mettant en scène la fille Chnina, lui soufflant les formules qui feraient bondir la sphère islamiste. Précisons que Sefrioui n’avait strictement aucun lien antérieur avec Samuel Paty, Brahim Chnina ou Conflans. C’est une pièce rapportée dans une affaire qui ne le concernait en rien.
Les deux ont aussi tenté de travestir les faits : Sefrioui en réfutant toute collusion avec Brahim Chnina contre l’évidence, et Brahim Chnina en expliquant péniblement que son courroux ne venait pas du tout des caricatures et de « l’insulte au Prophète », mais de la « discrimination » de Samuel Paty qui aurait fait sortir les musulmans de la classe. Tout cela n’était guère convaincant mais l’essentiel était ailleurs.
Y avait-il une dimension terroriste ? Les deux avaient-ils anticipé que leurs actions mèneraient Anzorov sur la route de Samuel Paty ? Les conversations entre l’assassin et Brahim Chnina n’ont pas laissé de traces et interrogé, celui-ci s’est empressé de minimiser les échanges. Quant à Sefrioui, le plus belliqueux des deux, il a pu démontrer qu’il n’avait jamais été en contact avec Anzorov et que ses fameuses vidéos n’avaient pas été consultées, ce que la SDAT n’a été en mesure ni de corroborer, ni d’infirmer. Cette incertitude factuelle a certainement pesé lourd dans les réquisitions a minima du Parquet antiterroriste.
Toutefois, et c’est heureux encore, la cour n’a pas suivi la défense et a bien rappelé que le contexte général de menace terroriste en France, ainsi que le climat propre aux caricatures de Charlie Hebdo ne pouvaient être ignorés. C’est bien Brahim Chnina qui a fourni le nom de Samuel Paty et du collège sur les réseaux sociaux. Les Clionautes sont très satisfaits que la violence en ligne soit clairement réprimée par la justice et qu’on établisse bien une chaîne de responsabilité entre celui qui lance des messages calomnieux et celui qui passe à la violence en acte à la fin.
Participer à la djihadosphère en ligne se paie
C’était l’ultime enjeu, partiellement relié au précédent, posé par les quatre derniers accusés. Si Chnina et Sefrioui ont allumé la mèche, ces quatre islamistes notoires ont propagé l’incendie en attisant la colère sur les réseaux sociaux, en discutant avec Anzorov, voire en le félicitant une fois son crime commis. Ont-ils pour autant été le terreau indispensable sans qui le projet terroriste n’aurait pas vu le jour ? Les conversations d’avant crime semblent s’en tenir à de la haine en ligne et les avocats de la défense ont rappelé qu’il n’y avait pas de conception commune d’un assassinat.
C’est sans doute pour cela que le parquet a fini par réviser à la baisse les infractions pour deux d’entre eux : provocation au terrorisme pour Priscilla Mangel et un an de prison contre Yusuf Cinar pour apologie du terrorisme. Pour les deux derniers, le parquet a requis 5 ans de prison dont 18 mois avec sursis contre Ismaël Gamaev, le seul des huit accusés à avoir reconnu sa culpabilité (encouragements et félicitations d’Anzorov) et 3 ans de prison dont 2 ans de sursis contre Louqmane Ingar, l’ami radicalisé qui projetait de partir en Syrie.
Les condamnations ont suivi les réquisitions globalement. Les peines sont plus légères que les autres car le lien est plus indirect mais le lien est là et signifié par la cour : c’est le principal de notre point de vue. Il faut en finir avec cette culture de l’impunité en ligne, de l’excuse de la jeunesse et de l’immaturité, constamment agitée dans ce type de cas.
Notre conclusion
On l’aura compris, nous sommes globalement satisfaits des conclusions de la cour d’assises spéciale. Notre seule interrogation de victimes indirectes dans cette affaire est que les peines prononcées ne soient pas assorties de peines de sûreté. Comme nous ne sommes pas des experts juridiques, cette situation est peut-être normale.
Toutefois, judiciairement, l’assassinat du 16 octobre 2020 contre Samuel Paty ne restera pas comme un acte terroriste isolé d’un individu fanatisé ayant tiré profit de l’aveuglement plus ou moins volontaire de son entourage. Dans les derniers jours, Anzorov n’était que très peu seul si l’on additionne ses amis réels et virtuels. Même ses armes ont été achetées à plusieurs et il a fallu le covoiturer jusqu’au lieu du crime. Reste la question de l’affiliation terroriste d’Anzorov, brièvement évoquée durant le procès mais confirmée par la SDAT. La famille d’Anzorov ayant depuis déguerpi la France, il reste encore des questions sur la matrice terroriste d’Anzorov. Mais dans tous les cas, la cour rappelle indirectement qu’il n’y a pas de « loup solitaire » et nous devons tous collectivement être bien conscients de cette réalité.
Pour les professeurs d’histoire-géographie que nous sommes, considérer que ce qui est arrivé à Samuel Paty avant le 16 octobre, ces longues semaines de harcèlement, d’intimidation, de calomnies et de dénonciations publiques, où les uns et les autres ont joué leur funeste partition, a bien à voir avec le coup final d’Anzorov était une évidence et nous sommes heureux que la Cour ait conclu en ce sens. Nous avons gardé l’image de notre collègue venu en cours les derniers jours de sa vie avec un marteau dans son sac et en rasant les murs.
Un article que nous conseillons en complément et qui est très clair : Actu-juridique