1. La ville est devenue un champ de bataille essentiel dans les multiples conflits qui ensanglantent notre monde. Cette table ronde, qui s´adresse en premier lieu aux enseignants, a pour objectif de leur donner des clés de compréhension sur les enjeux et les spécificités du combat urbain, afin qu’ils puissent ensuite mieux enseigner cette thématique à leurs élèves.

La table ronde est proposée par la D.C.M.A, la direction de la mémoire, de la culture et des archives, rattachée au Ministère des armées et des anciens combattants. La D.C.M.A est chargée de renforcer les liens entre l’armée et la nation et, à ce titre, développe toute une série d’activités en direction des publics scolaires qui seront détaillées plus loin. Mais vous pouvez aussi consulter dès maintenant le site de la D.C.M.A Chemins de memoire qui proposent de nombreuses ressources. Une revue trimestrielle est également éditée à laquelle on peut s’abonner gratuitement sur le site.

NB : le prochain numéro spécial de la revue Les chemins de la mémoire sera consacré à la ville en guerre.

La table ronde est animée par 3 intervenants et modérée par Catherine Dupuy, cheffe du pôle Rayonnement de la politique mémorielle à la DCMASophie Gougeal, géographe et cheffe du bureau jeunesse et cohésion nationale à l’Etat-major des armées, est chargée de la partie en lien direct avec les programmes et l’enseignement. Dorothée Lobry, docteure en stratégie militaire et diplômée en gestion de crise et en droit, est chargée de présenter l’évolution générale de la place de la ville dans la guerre. Enfin, le colonel Pierre Santoni, actuellement commandant de l’école d’Etat-Major de Saumur, a une vaste expérience des opérations en zone urbaine et interviendra ici en tant que tacticien.

1/ Le combat urbain dans les programmes scolaires (Sophie Gaujal)

Quelle est la place le combat urbain dans les programmes scolaires et l’enseignement?

Sophie Gaujal estime que cette question peut être abordée sous 3 angles :

  • l’enseignement de défense
  • l’enseignement par la défense
  • l’éducation à la défense

L’enseignement de défense est un enseignement obligatoire depuis 1997, date à laquelle le service militaire obligatoire a été suspendue. Elle estime que le combat urbain  comme ultime champ de bataille est une porte d’entrée possible, dans le contexte actuel où les élèves peuvent être demandeurs de clés de compréhension sur la complexité et les enjeux du combat urbain.

Le combat urbain peut être aussi une opportunité pour faire de l’enseignement par la défense, en particulier pour aborder la question des spécificités de la géographie urbaine, avec la question des échelles, du milieu et  des risques.

Le combat urbain fait enfin partie intégrante de l’éducation à la défense dans le cadre du lien entre l’armée et la nation et c’est sur ce plan que la DMCA s’avère la plus utile pour les enseignants. La DMCA propose et soutient toute une série de projets et d’activités que vous pouvez consulter sur son site Chemins de mémoire. Il existe, par exemple, un dispositif « classe-défense » qui permet à une classe d´être en partenariat avec une unité militaire. Il existe actuellement 800 classes-défense en France, du primaire au lycée. Le DMCA met également en libre accès de nombreuses ressources numériques consultables Ici.

ville champ de bataillePlus spécifique, le CENZUB (Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine) située à Sissonne dans l’Aisne, a aussi une activité d’accueil et propose des activités pédagogiques. Certains projets pédagogiques peuvent obtenir un financement de la part du ministère des armées.

 

2/ La ville comme « ultime » champ de bataille (Dorothée Lobry)

Dorothée Lobry intervient pour replacer le combat urbain dans l´histoire de la guerre. Elle rappelle que traditionnellement les armées ont contourné la ville. Le champ de bataille, qui porte bien son nom, désignait un combat en champ ouvert, permettant aux armées de manoeuvrer. Certes,  les villes faisaient l’objet de sièges (cf: le siège de Troie dans l’Iliade), mais les combats avaient lieu à proximité.  Les villes ou les bourgs qui servent à  nommer les batailles sont souvent situés à plusieurs kilomètres du lieu précis du combat.

La seconde guerre mondiale marque un tournant dans les deux camps, puisque la zone urbaine devient un objectif stratégique majeure, en particulier à partir de 1942 (Stalingrad). Elles le sont restées depuis. Pendant la guerre froide, elles sont sous la menace de bombardements nucléaires.

Après la guerre froide, les conflits armés ont changé de nature, avec le développement de combats d’envergure limitée et le rôle croissant d’acteurs non étatiques. Les interventions à l’étranger, dans le cadre des missions de l’ONU ou non, ont pour objectif de stabiliser, de protéger des populations ou des ressortissants et les villes sont bien souvent au coeur de ces objectifs. On assiste donc depuis les année 90 à un essor continu de la guerre urbaine et depuis le début du 21siècle, la majorité des combats se déroulent en ville : Sarajevo, Syrie, Mossoul, Gaza… les exemples sont nombreux. La densité de la population et du bâti favorisent le développement des mouvements violents et l’action d’adversaires irréguliers qui ont une connaissance profonde de l’environnement urbain.

Les armées nationales ont donc dû s’adapter à ces nouveaux types de conflit et à ces nouvelles manières de faire la guerre.

 

3/ Combattre en zone urbaine (PIerre Santoni)

Le colonel Pierre santoni se définit comme un tacticien. Fort de son expérience du combat urbain sur le terrain (au Kosovo en 1999-2000, en Afghanistan en 2009…), il est devenu  commandant et enseignant à l´école d’Etat-major de Saumur et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la guerre urbaine.

Il considère que la population est une donnée d’entrée dans les opérations urbaines, c’est à dire la population civile restée en ville pendant que les combats s’y déroulent. Il insiste sur l’importance du siège de Sarajevo entre 1992 et 1995 comme expérience de la guerre urbaine contemporaine. À Sarajevo, la ville sert de champ de bataille dont les lignes de front épousent les lignes de clivages ethniques, des lignes de front interethniques qui passent par des quartiers, des rues. Les civils sont les premières victimes, car les snipers tirent avant tout sur des civils.

Pierre Santoni note que les conflits urbains dans le monde multipolaire actuel  sont de plus en plus des conflits asymétriques, mettant aux prises des acteurs de nature et aux moyens différents. Le but pour celui qui est en position d’infériorité est de ne pas s’incliner devant un ennemi supérieur, comme le fit David face à Goliath. Dans cette configuration, la zone urbaine est un terrain de combat idéal de la guerre asymétrique car elle possède un extraordinaire pouvoir égalisateur de technologie.

Le pouvoir égalisateur de technologie du milieu urbain provient du fait qu’en ville, les armes lourdes des armées régulières sont difficiles à utiliser, au contraire des armes légères et moins coûteuses. Les immeubles, les maisons, les recoins offerts par la ville constituent la meilleure protection des combattants non conventionnels, surtout quand ils sont originaires de la ville, alors qu’ils sont une contrainte supplémentaire pour les armées conventionnelles qui essaient d’épargner les civils. Cela a été le cas lors de la bataille d’Alep en Syrie entre 2012 et 2016 quand chaque quartier devenait un « château fort ». Ou bien encore à Kingston ou à Rio de Janeiro quand des groupes criminels de narcotrafiquants se montent capables de défier des unités régulières dans certains quartiers. Les exemples pourraient être multipliés.

Pierre santoni estime que la précision des armes actuelles (drônes, armes téléguidées) rend presque impossible de tenir et de manoeuvrer en rase campagne. La ville, elle, permet encore de manoeuvrer, c’est à dire d’allier le mouvement des soldats et le tir. Compte tenu de ces réalités de la guerre, les militaires doivent être spécialement formés et entraînés au combat urbain, un combat qui ne s’improvise pas et qui est particulièrement exigeant pour les soldats.

C’est l’objectif du CENZUB : le centre d’entraînement aux actions en zone urbaine, situé à Sissonne dans l’Aisne. Créé il y a une petite  vingtaine d’annés, le CENZUB a créé une « vraie fausse ville », Jeoffrécourt, avec toutes les infrastructures d’une cité urbaine. Jeoffrécourt sert de lieu d’entraînement aux troupes dans les conditions les plus proches des réalités du combat urbain. Les soldats qui passent au CENZUB sont accompagnés en permanence, lors des « jeux de guerre » par un instructeur de combat en ville hautement qualifié. La DGA a livré un système numérique, le système Cerbère, qui assure  un suivi numérique  en temps réel de l’action des soldats et permet ensuite une analyse après-action. Le but est d’accoutumer les soldats à combattre en zone urbaine et à acquérir des réflexes pour un type de guerre particulièrement exigeant et meurtrier.

 

4/ Quelques pistes pour une transposition pédagogique ( Sophie Gaujal)

Dans le peu de temps qui reste, Sophie Gaujal propose quelques ressources qui permettent d’aborder la question du combat urbain :

  • Le film de 1965 La bataille d’Alger qui, dans un contexte de guerre coloniale, permet d’aborder la complexité d’un conflit asymétrique en milieu urbain.
  • Pierre santoni fait l’éloge du film Bloody sunday sorti sur les écrans en 2002 et qui relate les massacres de 1972 à Derry en Irlande.
  • La série Coeurs noirs sorti en 2023 (sur Prime video) qui relate l’intervention des troupes francaises à Mossoul en 2016.
  • Le témoignage écrit par le colonel Michel Goya sur son expérience à Sarajevo en 1993, comme lieutenant engagé dans la lutte contre les snipers. Vous pouvez retrouver le récit de M. Goya en cliquant Y  Ici
  • Le récit autobiographique sur son expérience sur le terrain du général Francois Lecointre Entre guerres.
  • Les projets en partenariat avec la DMCA déjà évoqués plus haut.

Conclusion

Le milieu urbain est donc un champ de bataille particulièrement complexe pour les militaires. Le milieu urbain impose un combat en trois dimensions dans un espace cloisonné. C’est un combat dur, intensif, meurtrier et dévastateur pour les soldats sur le plan psychologique, du fait de la proximité de la violence. C’est un combat qui exige un haut niveau de discipline et d’entraînement. La nécessité de protéger les civils ajoute une contrainte supplémentaire que l’ennemi non conventionnel sait utiliser. La population locale est un enjeu tactique dont il faut tenter d’obtenir l’appui : On le voit, les défis à relever sont nombreux…