Pour la première fois, sont évoqués les visiteurs de Versailles, capitale choisie par le roi soleil à partir de 1682. Point d’orgue d’un pouvoir ostentatoire, le château est voulu par Louis XIV comme l’écrin où vivent le roi et de sa cour, le théâtre du pouvoir et le siège de son gouvernement. Rien n’est trop beau pour émouvoir, étonner et éblouir tous ceux qui viendront paraître, contempler et nul doute admirer le roi du plus grand royaume d’Europe. Cette mise en abyme du visiteur qui visite nous enchante comme furent enchantés les visiteurs d’autrefois qui découvrent l’escalier de marbre ou la galerie des Glaces.
L’exposition nous conduit aujourd’hui vers une déambulation rythmée par une belle muséographie miroir du paraître d’antan. On entre dans la cour d’un château ouvert sur le monde. Son accessibilité implique l’ouverture des espaces à ceux qui le souhaitent dans le respect des règles de protection du souverain. Ce dernier commande les premiers guides touristiques qui suggèrent des parcours de visite. Il participera lui-même à une description du parc et il invente la notion de tourisme.
Rencontrer le roi est le but ultime des voyageurs qui se rendent à Versailles, située à quatre lieux de Paris (minimum deux heures). Le chemin se parcourt en carrosse plus ou moins luxueux. Certains préfèrent le bateau moins onéreux partant de Saint-Cloud ou de Sèvres. Seuls les grands peuvent être hébergés près du roi. Des hôtels particuliers sont construits par certains courtisans mais fleurissent aussi des auberges et des cabarets pour loger les serviteurs, les ouvriers mais aussi les voyageurs.
Détail d’une vue des avant-cours du château, Jean-Baptiste l’Aîné (1659-1735), peint en 1688 – Château de Versailles
Qui se rend au château, est accueilli par l’imposante Maison du roi composée des gardes du Dehors, les gardes françaises vêtus de bleu bordé de rouge qui circulent sur la place d’armes tandis que les gardes suisses, en habit rouge distingué de bleu, surveillent l’avant-cour ou cour des ministres. Les gardes de la Porte et de la prévôté de l’Hôtel assurent la police. La protection du souverain est assurée par les gardes du corps dont le capitaine ne quitte pas des yeux le roi de son Lever à son Coucher, assistés des Cent-Suisses et des gardes de la Manche (si proches qu’ils peuvent toucher la manche) armés d’une pertuisane et vêtus d’un hoqueton de soie blanche brodée d’or et d’argent. Ceux qui ont reçu les honneurs du Louvre (présentés officiellement au roi) arrivent en carrosse et empruntent un trajet en fonction de leur rang.
Paraître à la cour signifie être acteur et spectateur du faste royal. Le luxe imposé à Versailles témoigne de la grandeur de la monarchie. S’il veut être admis, tout visiteur (sauf les prostituées et les moines depuis Jacques Clément) doit se parer pour se fondre dans la foule. Il est conseillé aux hommes de porter un chapeau et une épée, tandis que les dames sont « magnifiquement parées ». Quant aux courtisanes, le grand habit est de rigueur avec son grand corps baleiné, une jupe posée sur un panier et sa traîne. Une robe volante dite « robe de chambre » (exceptionnelle acquisition du musée Galliera en 2016) peut aussi être portée.
Robe volante dite « robe de chambre » – 1720-1730 – broché de soie à fil de métal – Palais Galliera, Paris
Apercevoir le roi est possible, dans le jardin ou lors des multiples occasions suscitées par l’étiquette. Suivant leur rang, les courtisans assistent au repas public du Grand Couvert trois fois par semaine ou à la procession qui conduit le roi à la messe tous les matins ou à la cérémonie des placets (demande d’aide écrite au roi pour un arbitrage, un secours financier) qui a lieu le lundi dans la salle des gardes de l’appartement du roi. Quiconque correctement habillé peut ainsi voir le roi dans son quotidien. Les cérémonies religieuses multiplient l’affluence, par exemple lors des festivités de l’ordre du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte. Le roi, réputé guérir les écrouelles, maladie d’origine tuberculeuse, impose ses mains à chaque « bon jour du roi ». Ce rite existe depuis le XIIème siècle et se déroule dans l’avant-cour du château où le roi soleil aurait touché 200 000 âmes. Cette fête particulièrement populaire a pris fin sous Louis XV.
Les visites politiques ont une solennité particulière. Les cours étrangères envoient des ambassadeurs et des diplomates en résidence. Avant la cérémonie, l’ambassadeur est reçu pour une première audience. Il effectue une entrée publique à Paris. Il est ensuite mené à Versailles, deux jours plus tard dans les carrosses du roi. Le cortège arrive en procession qui s’étire dans la cour d’honneur selon le rang. La personnalité se place à droite dans la voiture d’apparat. Accueillie par l’introducteur des ambassadeurs dans le salon de Descente, elle gravit ensuite l’escalier de la Reine et se présente au roi dans sa chambre. L’entretien qui suit se déroule selon un protocole minutieux.
Eventail « Le Déjeuner de la famille royale » – The Fan Museum, Londres
Quatre ambassades extraordinaires ont fait l’objet d’un cérémonial particulier. Les diplomates empruntent l’extraordinaire escalier des Ambassadeurs orné de peintures de Charles Le Brun représentant les nations venant des quatre coins du monde, surmonté d’un buste de Louis XIV sculpté par Varin. Les Cent-Suisses habillés « à l’Antique » forment une haie d’honneur. Le cortège aboutit au grand appartement. L’audience achevée, une visite des jardins s’impose où les eaux sont mises en marche.
En 1686, l’ambassade de Siam a marqué les esprits par l’exotisme raffiné de sa délégation. Pour la première fois, la cérémonie se déroule dans la galerie des Glaces où étincelle le mobilier d’argent. Le Busador, trône processionnel miniature en forme de pagode pour porter la lettre d’or de créance ou les chapeaux « qui marquent leur Dignité » étonnent. Le but de la France est de tisser des liens commerciaux mais surtout de convertir les Asiatiques au catholicisme. De tels événements sont immortalisés par les almanachs édités par Nicolas Langlois. Les présents apportés par l’ambassade sont somptueux : 1500 pièces de porcelaine de Chine, des coffres en laque, un canon décoré à la feuille d’argent ou de la vaisselle d’argent comme cette verseuse retrouvée récemment dans une collection particulière qui a échappé au prochaine fonte ordonnée par Louis XIV.
En 1721, l’ambassade ottomane est menée par le grand trésorier Mehemet Effendi dans une volonté de s’ouvrir à l’Occident. Le régent se résout à la recevoir malgré la banqueroute après l’échec du système Law. Versailles est pour lui une source d’émerveillement, « la grande galerie peut passer pour la plus belle et la plus charmante du monde ». L’objectif de l’ambassade est de complimenter Louis XV pour son avènement à la couronne, de renouveler les accords commerciaux et d’informer le roi de la réfection du dôme du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Le monde ottoman s’intéresse aussi aux progrès économiques, techniques et scientifiques de la France.
Mehemet Effendi, peint en 1724 par Pierre Gobert (1662-1744), huile sur toile conservée à la Philip Mould et Company de Londres
Chassé de ses états en 1787, et âgé seulement de 6 ans, le prince Nguyen Phuc Canh de Cochinchine, vient chercher le soutien de Louis XVI. Le traité signé ne sera jamais honoré. Son merveilleux turban inspire Léonard, le coiffeur de Marie-Antoinette.
Le prince Nguyen Phuc Canh (1780-1801) – signé Maurepin en 1787,huile sur toile, conservée aux Missions Etrangères de Paris.
L’année suivante, l’ambassade de Mysore (royaume du sud de l’Inde) apporte au roi vingt et une pièces d’or « ce qui est l’hommage du plus profond respect » selon le Mercure de France. Mme Vigée Le Brun obtient des séances de pose pour « leurs têtes superbes ». Elle peint Mohamed Osman Khan vêtu d’un jama de mousseline ceinturé sous une veste à manches courtes brodée muni de son large cimeterre.
Mohamed Osman Khan, peint par Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), huile sur toile – 1788 – collection particulière.
Les révolutionnaires américains sont impressionnés mais critiques sur le luxe de Versailles au détriment du bien-être de la majorité des Français. La cour quant à elle est frappée par la simplicité de la mise de Benjamin Franklin coïncidant avec ses valeurs. Il refuse de porter l’habit à la Française et la perruque.
Benjamin Franklin peint par Joseph-Siffred Duplessis (1725-1802) – huile sur toile – 1778 cadre en bois attribué à François-Charles Buteux – Metropolitan Museum of Art, New-York
Depuis l’ouverture de Versailles au public, des artistes et des espions s’installent à la cour pour s’inspirer des arts déployés. Envoyés par leurs princes ou à titre privé, les artistes, des jardiniers, des naturalistes ou des musiciens brillent au château comme le jeune Wolfgang Mozart qui enchante Marie Leszczynska.
N’oublions pas les touristes du Grand Tour, souvent de jeunes nobles qui entreprennent l’aventure européenne accompagnés par leur tuteur qui organise enseignements et visites de monuments. Ces voyageurs repartent avec des souvenirs, des gravures, des tabatières, des éventails et même des bronzes dont certains artisans se font leur spécialité, vendus sur des étals proches des grands escaliers du château.
L’étiquette de la cour était si contraignante que certains princes étrangers ont décidé de s’y rendre incognito dotés d’un nom supposé. Ils s’en tiennent ainsi aux réceptions particulières où on ne leur dispute pas leur rang et les frais du voyage sont moins onéreux. Par exemple, Gustave de Suède accepte l’invitation de Louis XVI lors de son deuxième tour d’Europe sous le nom de comte de Haga. Un appartement est aménagé au rez-de-chaussée de l’aile de midi meublé pour l’occasion. Pour honorer cet hôte prestigieux, Marie-Antoinette y fait ajouter deux tables mécaniques de Riesener. Elle consent à lui offrir 594 pièces d’un service de Sèvres à fond « riche en couleur et riche en or » qu’elle avait commandé pour elle. Malgré cet accueil, le roi de suède refusa l’appartement. C’est à Versailles qu’il avait appris la mort de son père et son ascension au trône sous le nom de Gustave III lors de son premier voyage en 1771. Le roi de Suède est accompagné de son capitaine des gardes du corps, Axel de Fersen.
Service de la manufacture de Sèvres à fond « riche en couleur et riche en or » – 1784 porcelaine tendre, département des objets d’art, musée du Louvre, Paris
Vase ovoïde à fond vert, bas-reliefs à l’imitation de Wedgwood et monture en bronze doré, offert à Gustave III en 1782, manufacture de Sèvres, The Royal Collections Sweden, Stockholm
Costume d’Axel Von Fersen (1755-1810) 1785 – drap de laine et soie -, Nordiska Museet, Stockholm
Le Trianon de marbre a permis de recevoir des invités de marque comme Stanislas de Lorraine qui y séjourne plusieurs années dans les appartements de Mme de Maintenon, pour être près de sa fille. C’est aussi à Trianon que Marie-Antoinette fait préparer des fêtes somptueuses pour sa famille lors des visites de son frère Joseph notamment en 1781. Après le souper et à l’issue d’un opéra de Gluck dans le nouveau petit théâtre, un concert de nuit est donné par les musiciens des gardes françaises, dans le jardin tout illuminé de fagots brûlés.
Illumination du Belvédère du Rocher au Petit Trianon, Claude-Louis Châtelet (1753-1795), Huile sur toile, 1781 – Château de Versailles
La fin sombre et nostalgique du château en lien avec les événements révolutionnaires à partir d’octobre 1789, conduit les conservateurs de l’exposition à parler de « visiteurs non désirés ». Après le départ de la cour puis des souverains, Versailles devient « un corps sans âme » comme l’évoque l’écrivain russe Nicolaï Karamzin en avril 1790
Le roi arrivant à Paris avec sa famille, escorté de plus de 30 000 armes le 6 octobre 1789. D’après Jean-Louis Prieur (1759-1795) – 1789 – eau-forte – musée Carnavalet, Paris
Nous fûmes des visiteurs attentifs et passionnés par cette exposition qui réunit des documents connus, almanachs ou toiles montrant des ambassades, mais aussi des pièces plus confidentielles ou rares comme les dessins d’artistes qui présentent des états du château aujourd’hui perdus, sortis des musées étrangers.
Christine Valdois et Eric Joly pour les @Clionautes