L’enseignement de la Seconde Guerre mondiale en France passe souvent rapidement sur la vie des Allemands pendant la guerre. Ce film documentaire réalisé par Jérôme Prieur, en partenariat avec France Télévisions, permet de combler en partie cette lacune. Il raconte le quotidien des civils allemands entre 1938 et 1945.
J’ai eu la chance de visionner le documentaire en avant-première lors des Rendez-Vous de l’Histoire et de discuter avec Jérôme Prieur, le réalisateur et Fanny Bouquet qui a dépouillé les archives pour lui.
Jérôme Prieur, auteur et réalisateur
Pour ceux qui ne connaissent pas Jérôme Prieur, il est l’auteur de nombreux films documentaires qui concernent l’Histoire. Outre Corpus christi et les grandes séries sur la naissance du christianisme réalisées avec Gérard Mordillat, citons notamment Hélène Berr, une jeune fille dans Paris occupé, prix du Documentaire de l’Association des critiques de cinéma et de télévision et Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler à partir d’une enquête lancée par Harvard à l’été 1939.
Il est également l’auteur d’une vingtaine de livres. Dernièrement La Moustache du soldat inconnu (Seuil, La librairie du XXIème siècle, 2018)
Un documentaire pour raconter l’histoire de l’Allemagne
Vivre dans l’Allemagne en guerre est presque une suite à Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler. Jérôme Prieur et son équipe ont voulu raconter l’histoire de l’Allemagne à partir du regard de ceux qui y sont restés entre 1938 et 1945.
Pendant une heure et demie, le spectateur assiste à un patchwork d’images d’archives amateurs et de témoignages écrits, issus de journaux intimes et de lettres. Les témoins s’expriment sur les offensives allemandes de 1939, sur la défaite de Stalingrad, sur les réquisitions au profit de l’armée, sur les spoliations juives. On peut également entendre les réactions face aux bombardements alliés sur Berlin.
Un des points forts de ce documentaire est, à mon sens, le choix de respecter la trame chronologique de la guerre. Les spectateurs, y compris les moins avertis, peuvent suivre facilement le documentaire.
Un documentaire « tout archive »
Le deuxième point fort est le mélange réussi entre les images d’archives amateurs et les témoignages lus avec talent par les acteurs. Le réalisateur a utilisé cette mise en scène pour permettre « l’immersion du spectateur dans le quotidien des Allemands », estimant que trop de documentaires « mettent le passé derrière une vitre ».
Jérôme Prieur souhaitait des images amateurs en ce qu’elles « montrent autre chose de cette période ». Les Allemands avaient énormément filmé leur pays depuis les années 20. Son équipe a cherché les images d’archives dans les cinémathèques privées et régionales. Ces dernières ont fait un gros travail de collation et d’archivageLe Ciclic en Région Centre-Val-de-Loire réalise le même travail. À ce titre, un petit court métrage a été diffusé avant le documentaire de Jérôme Prieur..
Pour lui, utiliser ces images était un moyen de contourner l’usage souvent abusif qui peut être fait des images officielles. D’ailleurs, les images officielles du régime, lorsqu’elles sont présentes dans le documentaire, ont conservées leurs musiques et leurs génériques (ce que ne font pas tous les documentaires).
Vivre dans l’Allemagne en guerre est un documentaire « tout archive ». Les images utilisées n’ont pas été modifiées, ni colorisées. Seule la musique et les sons, réalisés par Marc-Olivier Dupin, accompagnent la narration. Les sons aident à la lecture des images en accentuant un son visible à l’écran. Il n’y a aucune sonorisation complète.
Faire une histoire par le bas
Le troisième point fort est le fait de donner la parole à ceux que l’on entend jamais, les anonymes, ceux qui ont vécu la guerre sans vraiment la faire. Il y a une volonté de faire témoigner des gens qui ne subissent aucune persécution du pouvoir. Tous sont restés en Allemagne. Le documentaire participe à l’écriture d’une histoire par le bas.
Ce documentaire est l’adaptation d’un livre d’un historien anglais. Cependant dans ce livre, les témoignages étaient présentés sous forme de nouvelles et uniquement par citation. Jérôme Prieur a souhaité rendre la parole aux témoins. Son équipe et notamment Fanny Bouquet s’est occupée de récupérer les témoignages en allemand et de les traduire.
Le réalisateur a volontairement réduit le nombre de témoignages. Il y en avait une quarantaine dans Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler. D’une sélection large, il n’en reste que sept.
Sept témoins aux profils différents
Parmi ces témoins, certains sont plutôt proches du régime. Irène Reitz travaille chez un fleuriste à Lauterbach, une bourgade en pleine Forêt Noire. Ernst Guicking, son fiancé, est sous-officier de carrière dans la Wehrmacht et combat en France puis en Russie. En 1940, Liselotte Purper, 22 ans, est photographe pour les organismes officiels du Reich. Elle est fiancée à Kurt Orgel, lieutenant dans un régiment d’artillerie envoyé plus tard à Stalingrad. Comme la grande masse des Allemands, ils adhèrent au IIIème Reich.
Quelques témoins souhaitent rendre compte des événements. Lisa de Boor vit et travaille à Marburg où elle écrit des contes pour enfants et des poèmes, notant les événements marquants. Mathilde Wolff destine son témoignage écrit sous forme de lettres à ses enfants exilés hors d’Allemagne, bien qu’elle ne puisse pas les leur envoyer, « pour qu’ils sachent plus tard ce que nous avons vraiment vécu », dit-elle.
D’autres sont plus hostiles au régime. Ruth Andreas-Friedrich, qui appartient à un groupuscule clandestin de secours aux Juifs, travaille comme journaliste à Berlin. Luthérien fervent, Jochen Klepper relate ses cas de conscience et ses efforts désespérés pour sauver sa femme et sa belle-fille, d’origine juive. Journaliste pour le Deutsche Allgemeine Zeitung, Ursula von Kardorff vient d’une vieille famille de la noblesse prussienne. Elle ne cesse de confier en secret comment son pays sombre dans l’horreur.
On pourrait s’étonner de ne entendre un témoignage nazi. Ce point de vue est présent en creux par les images de propagande facilement identifiables, et à travers le questionnement de certains témoins tout au long du documentaire sur cette propagande.
Des témoins tiraillés
Tout au long du documentaire, le spectateur prend conscience des répercussions de la guerre sur les consciences. Les témoins, y compris de ceux plus proches du régime, se posent des questions, dès lors que leurs proches ou leur moral sont touchés.
Au début de la guerre, Liselotte Purper voit dans le IIIe Reich une opportunité de faire une belle carrière. Puis la guerre avançant, la mort de son frère la pousse à changer d’avis. « Je préférerais lire notre époque, plutôt que de la vivre », confie-t-elle
Lisa de Boor apprend, par un ami, les actions des Sonderkommando. Ruth Andreas Friedrich évoque les déportations des juifs vers des destinations inconnues mais vers une mort certaine. Elle appartient également à un groupe secret d’assistance aux juifs et décrit la honte qu’elle ressent à la vision des étoiles jaunes et des spoliations. Voyant la défaite approcher, des personnes viennent la voir pour être déclarés « non-nazi ». Ursula Von Kardoff en vient même à souhaiter la défaite de l’Allemagne et se demande si c’est «bien de souhaiter la défaite de son propre pays ».
Finalement, le témoignage le plus terrifiant est sans doute celui de Jochen Klepper. Il est marié à une femme juive, père d’une jeune fille, et a été radié de l’armée. Lorsque les nazis commencent à s’en prendre aux juifs, le couple se questionne sur la possibilité d’en finir avec la vie. Luthérien, le couple discute du suicide d’un point de vue théologique : est-ce moral de se suicider ? Ils finissent par le faire avec leur fille. Long silence dans le film… Long silence dans la salle… C’est la seule voix qui s’éteint pendant le documentaire.
Un documentaire à utiliser en classe
J’ai été particulièrement touché par ce documentaire. Il permet de voir comment la société allemande, mise au pas par les nazis, passe de l’euphorie des conquêtes à la colère du désastre. On se rend aussi compte qu’il existait des personnes lucides et courageuses qui n’hésitaient pas à noter et à prendre parti.
Le montage chronologique, la juste juxtaposition d’images amateurs et des témoignages, les thèmes abordés font de ce documentaire un bel outil pédagogique. Il me semble pertinent de le montrer à nos élèves. Seul bémol, il est difficile de montrer un documentaire d’une heure et demie à nos classes.
Le documentaire doit être diffusé en deux parties sur France Télévisions. La date était encore inconnue lors des Rendez-Vous de l’Histoire. Nous vous tiendrons au courant.
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