Wargame et Serious Game, un réel potentiel pour apprendre à construire une réflexion et développer un esprit critique. Voilà deux années, déjà, je découvrais avec Pierre Razoux sa simulation Suprématie 2050Novembre 2022 – Atelier Wargame avec Pierre Razoux – FMES.

 

 

Je m’intéresse depuis de nombreuses années aux jeux de stratégie, aux kriegsspiel en général. Le potentiel pédagogique de ces outils, de ces jeux, est à mes yeux évident. Le kriegsspiel, initialement conçu au début du XIXe siècle en Prusse, est un jeu de simulation militaire destiné à former les officiers à la stratégie de guerre.

 

L’exploiter avec des élèves, des étudiants, peut sembler étonnant. Pourtant c’est toute la démarche de Pierre Razoux au sein de l’institut FMES, et ça fonctionne pleinement.

Dans une semaine débuteront les 3è Rencontres Stratégique de la Méditerranée. L’actualité brûlante de ces dernières semaines y sera abordée, et Pierre Razoux participera, le mercredi 9 octobre, à une table ronde sur la situation au Moyen-Orient.

Sa pratique des Serious Game, des Wargame va contribuer à nourrir sa réflexion, comme il l’évoquait il y a quelques jours sur le réseau social LinkedInhttps://www.linkedin.com/posts/pierre-razoux-189b7594_d%C3%A9cryptage-et-cons%C3%A9quences-de-l%C3%A9limination-activity-7246274543428812800-9aeC?utm_source=share&utm_medium=member_desktop.

En effet, loin de se limiter à une dimension ludique, pratiquer les Wargames, Serious Game ou de façon plus générale les jeux de stratégie, permet pleinement de profiter de compétences forts utiles. La dimension pédagogique de ces jeux est au cœur de cette réflexion.

 

Wargame et Serious Game : des opportunités pédagogiques dans un cadre stratégique

 

Dans un article publié en juin 2020 et intitulé « De l’utilité des War Studies et du Wargaming pour décrypter les dilemmes stratégiques au Levant », Pierre Razoux explorait à l’occasion de la sortie de son Wargame  FITNA – Global War in the Middle East (NUTS publishing, 2020), le riche potentiel pédagogique de ces supports.

 

 

Que peut-on retenir de l’analyse proposée par Pierre Razoux ? L’historien met en lumière plusieurs points pédagogiques clés des wargames:

  1. Apprentissage par l’expérimentation : ces simulations permettent aux participants de s’immerger dans des scénarios réalistes, obligeant à prendre des décisions stratégiques avec des informations limitées, imitant ainsi les contraintes de la guerre réelle.
  2. Simulation des dynamiques de commandement : ces simulations mettent en scène des chaînes de commandement complexes. Cela permet de comprendre les interactions entre les différents niveaux hiérarchiques et les implications des ordres donnés.
  3. Approche interdisciplinaire : les wargames ne se limitent pas à la guerre classique. Elles intègrent des dimensions politiques, économiques et diplomatiques, ce qui offre aux participants une vision globale des enjeux géostratégiques.
  4. Développement du leadership : le rôle du commandant est souvent central dans ces simulations. Les participants apprennent à gérer des équipes, à communiquer efficacement sous pression, et à réagir aux imprévus.

 

Dans le cas de l’étude de l’actuelle situation au Moyen-Orient, l’article, écrit en 2020, illustre pleinement la richesse de son jeu FitnaJeu en anglais disponible ici : https://www.nutspublishing.com/eshop/fitna-fr pour comprendre ce qui se passe actuellement et mesurer la justesse des chemins possibles.

Une cinquantaine de parties test reproduisant une offensive aéroterrestre israélienne d’envergure en direction du Liban et de la Syrie, pour tenter d’annihiler le Hezbollah et repousser les contingents iraniens présents sur place vers le nord, aboutissent aux constats suivants :

En quelques semaines d’une offensive aéroterrestre déterminée appuyée de bombardements intensifs, l’armée israélienne parvient sans difficulté majeure, bien qu’avec des pertes significatives, dans la banlieue de Beyrouth ou de Damas (et dans 60 % des cas seulement s’il s’agit à la fois de Beyrouth et de Damas).

Tsahal ne peut s’emparer d’une de ces deux capitales que si elle fait l’impasse sur l’autre. En d’autres termes, conquérir à la fois Beyrouth et Damas lui est quasi-impossible, d’autant que la capitale syrienne bénéficie rapidement de renforts multiples en provenance d’Iran, de Russie et du monde arabe, appuyés par un nombre conséquent de milices de tous acabits comme le montre cette seconde illustration.

[…]

Si en revanche les stratèges israéliens limitent leurs ambitions et renoncent d’emblée à s’emparer de Beyrouth et de Damas, ils peuvent aisément progresser le long de ces trois axes stratégiques pour établir une zone tampon suffisamment large (mais pas trop) pour protéger le territoire israélien des attaques terrestres et des tirs de roquettes de leurs principaux adversaires, notamment le Hezbollah. Mais cette bande tampon ne les protège pas des tirs de missiles balistiques. On comprend dès lors pourquoi le gouvernement israélien s’acharne à intégrer l’arsenal balistique iranien dans les négociations entre la communauté internationale et Téhéran.

Si elle parvient dans la banlieue de Beyrouth et de Damas, l’armée israélienne n’a pas les moyens de s’y maintenir durablement dès que les adversaires d’Israël engagent massivement leurs milices pour harceler et user à peu de frais les unités de pointe de Tsahal. Assez rapidement, le niveau de pertes israéliennes augmente et cette guerre d’usure oblige l’état-major israélien à roquer d’un front à l’autre (Syrie-Liban) et à procéder à un retrait progressif vers Israël pour raccourcir à la fois ses lignes de défense et ses lignes logistiques.

L’armée israélienne ne parvient à se maintenir durablement dans la banlieue de Damas et de Beyrouth que dans 10 % des cas, à la suite d’erreurs grossières des Syriens, des Russes et des Iraniens. Elle se maintient en revanche au Sud-Liban dans les deux-tiers des cas si elle ne s’est pas lancée simultanément dans une offensive en direction de la Syrie.

Un potentiel pédagogique en réalité bien plus large pour des élèves et étudiants

 

Une simulation comme Suprématie 2050 permet allègrement d’illustrer son fort potentiel auprès d’élèves de lycée, spécifiquement en spécialité HGGSP, ou dans le supérieur. La capacité à favoriser l’apprentissage expérientiel et immersif est une clé majeure qu’il faut saisir.

 

1. Développement de la pensée critique et stratégique

Les simulations de type kriegsspiel/wargames obligent les participants à analyser rapidement des informations incomplètes et à faire des choix stratégiques dans un environnement incertain. Elles aident à développer des compétences comme :

  • L’analyse critique
  • Réfléchir à la gestion des risques
  • La prise de décision rapide

Mises en perspectives  avec les différents thèmes des programmes en HGGSP, mais aussi de géographie, ces compétences nourrissent la réflexion et permettent de mieux comprendre la complexité du monde.

 

2. Apprentissage interdisciplinaire

Ces supports ne se limitent pas à la guerre ; il intègre des éléments politiques, économiques et sociaux, ce qui est au cœur des mécanismes de Suprématie 2050. Cela le rend adaptable à diverse approches éducatives :

  • les relations internationales
  • l’économie et la gestion des ressources
  • la diplomatie
  • le poids de la recherche, de la connaissance
  • le poids des problématiques environnementales

3. Simulations de gestion de crise

De façon plus large ils peuvent peut être utilisés dans des contextes précis, pour compléter par exemple les réflexions de géographie ou de sécurité au sens large :

  • la santé publique (pandémies)
  • les catastrophes naturelles (tsunamis, tremblements de terre)
  • la cybersécurité (attaques informatiques)

Les élèves peuvent travailler après la partie sur la réalisation de supports écrits, de fiches, d’exposés, afin de faire des comparaisons avec des gestions de crise ayant eu lieu. La mise en perspective est ici tout à fait stimulante et efficace.

 

4. Renforcement du travail collaboratif

Cette pratique prend une toute autre dimension lorsqu’elle est menée en équipe.  Dans le cadre d’une expérience sur laquelle j’aurai ‘occasion de revenir autour du jeu 4X Humankind, il ressort que les élèves ont :

  • amélioré les compétences en communication
  • développé pour certains une forme de leadership et de gestion des équipes
  • permis l’approche interdisciplinaire (HGGSP, SES, Langue vivante)

Dans le cas de Humankind c’est donc un outil de simulation numérique qui a permis de transposer les principes du kriegsspiel dans des formats numériques interactifs.

 

5. Renouveler les pédagogiques

L’intégration potentielle des wargames peut être renforcée par des méthodes pédagogiques telles que :

  • L’apprentissage par projet : les élèves travaillent sur un projet basé sur des scénarios simulés, ce qui encourage l’auto-apprentissage et la recherche autonome.
  • L’apprentissage par problème : ces simulations peuvent servir à introduire des scénarios où les élèves doivent résoudre des problèmes complexes, renforçant la capacité à comprendre des situations globales.
  • L’apprentissage mixte (blended learning) : compléter les cours en présentiel, en classe, avec des simulations numériques ou autour d’une table de jeu. Ceci construit une expérience éducative plus complète.

 

Ces quelques pistes de réflexions illustrent la richesse des possibles. Les 3è RSMed des 8 et 9 octobre prochain seront aussi l’occasion de découvrir au détour d’échanges, entre deux conférences, le potentiel pédagogique des Serious Game. Puissent les travaux de Pierre Razoux trouver un écho de plus en plus favorable dans nos établissements, pour une formation enrichie de nos élèves.